CHAPITRE II
Les tours de la Cité Impériale se dressaient vers le ciel, loin de la surface ombragée de la planète Coruscant. Datant des premiers jours de l’Ancienne République, les pierres existaient depuis plusieurs générations. En mille ans, des structures plus hautes encore avaient été érigées sur les plus anciennes fondations.
Luke Skywalker avança sur une plate-forme d’atterrissage qui saillait de la façade meurtrie de ce qui avait été le monolithique Palais Impérial. Des rafales de vent faisaient claquer les pans de sa robe de Jedi.
Il leva les yeux, contemplant la fine couche d’atmosphère qui protégeait Coruscant de l’espace. En orbite, des vaisseaux endommagés et des débris dérivaient toujours, témoins des terribles batailles qui avaient opposé l’Alliance aux groupuscules de l’Empire lors de la prise de la planète.
Volant plus haut que les plus hautes tours, les Faucons-souris chevauchaient les vents chauds qui provenaient des canyons de la ville.
Luke usa d’une technique de méditation Jedi pour chasser l’anxiété qui lui serrait la poitrine. Plus jeune, il avait été nerveux et impulsif, rempli d’incertitudes.
Mais Yoda lui avait appris la patience, entre beaucoup d’autres choses. Un véritable Chevalier Jedi pouvait attendre aussi longtemps que nécessaire.
Le Sénat de la Nouvelle République avait commencé sa réunion une heure plus tôt ; ses membres étudiaient encore les affaires courantes. Skywalker voulait les surprendre à un moment plus propice.
L’immense métropole qu’était la Cité Impériale s’étendait autour de lui. Peu de choses avaient changé depuis qu’elle était le siège de la Nouvelle République…
Après tout, avant d’abriter l’Empire, n’avait-elle pas été la capitale de l’Ancienne République ?
L’ancien palais de l’Empereur Palpatine, constitué de pierres noires et vertes et de cristaux, étincelait sous le soleil de Coruscant. Il dominait les autres bâtiments de la ville, y compris celui du Sénat.
La majeure partie de la Cité Impériale avait été détruite au cours de la guerre civile ayant suivi la chute du Grand Amiral Thrawn. Les différentes factions s’étaient battues pour la planète natale de l’Empereur, transformant des quartiers entiers en cimetières semés de tours éventrées.
La Nouvelle République avait fini par repousser les derniers carrés de l’Empire. Nombre de soldats de l’Alliance – dont Wedge Antilles, l’ami de Luke –, s’occupaient à présent de la reconstruction. La priorité avait été accordée au Palais Impérial et aux chambres du Sénat.
Les droïds géants de construction fourmillaient sur les anciens champs de bataille, récupérant les matières premières qui permettraient d’édifier de nouveaux bâtiments.
Au loin, Skywalker voyait un de ces énormes droïds, haut comme une tour de quarante étages, démolir un gratte-ciel pour dégager la trajectoire d’une voie de communication aérienne. Ses bras articulés abattaient la façade pour l’offrir à la gueule mécanique de son usine de recyclage intégrée.
Pendant l’année de violence qui avait précédé, Luke avait été conduit devant l’Empereur, ressuscité dans la forteresse du noyau galactique, où il lui avait appris l’utilisation du Côté Obscur de la Force. Devenu l’éminence grise de l’Empereur, comme son père, Dark Vador, il avait traversé un rude conflit intérieur ; grâce à l’aide, à l’amitié et à l’amour de Yan et de Leia, il avait réussi à se libérer de l’emprise du Côté Obscur…
Désormais, son cœur lui paraissait aussi dur qu’un diamant. Il n’était pas seulement un Chevalier Jedi, mais le dernier Maître Jedi, qui avait survécu à des épreuves plus dures que celles subies durant son entraînement. Skywalker en savait plus sur la Force qu’il ne l’eût cru possible.
Parfois, cela le terrifiait.
Il repensa à l’époque où, aventureux et idéaliste, à bord du Faucon Millenium, il s’était entraîné pour la première fois au sabrolaser sous l’œil bienveillant de Ben Kenobi.
Il se souvenait également du scepticisme dont il avait fait montre lors de l’attaque de l’Etoile Noire, pendant la bataille de Yavin. La voix de Ben lui avait alors murmuré de garder confiance en la Force.
A présent, il comprenait mieux pourquoi le regard du vieillard lui avait paru hanté.
Un Faucon-souris, porté par les courants, se laissa descendre vers les niveaux inférieurs de la Cité, tenant dans ses serres une proie qui se débattait encore. Un autre prédateur se précipita pour la lui arracher. Luke entendit les cris perçants des oiseaux qui se querellaient. La proie, soudain lâchée, s’écrasa au sol.
Prisonniers d’une danse mortelle, les deux prédateurs percutèrent une tour.
Le trouble s’inscrivit sur le visage de Skywalker. Un présage ?
Il allait s’adresser à la Nouvelle République ; l’heure était venue.
Il fit demi-tour et pénétra dans les corridors frais du Palais, s’enveloppant un peu plus dans sa cape.
Luke se tenait à l’entrée de la chambre du Sénat. Dans l’immense amphithéâtre siégeait le cercle de sénateurs et de représentants des planètes composant la Nouvelle République. Des holos de débats seraient plus tard diffusés dans la Cité Impériale et sur d’autres mondes.
Des rayons solaires filtraient à travers des segments de cristal sertis dans le plafond, créant un effet d’arc-en-ciel sur les personnes les plus importantes de l’assemblée. Luke savait que l’architecture avait été conçue par l’Empereur pour émerveiller l’assistance.
Sur l’estrade centrale, Mon Mothma, la présidente de la Nouvelle République, paraissait gênée au milieu de tant de grandeur. Skywalker se permit un sourire, se rappelant la première fois où il l’avait vue, occupée à décrire la deuxième Etoile Noire, pendant que les Rebelles approchaient d’Endor.
Avec ses cheveux roux coupés court et sa voix douce, elle ne ressemblait pas à un commandant militaire. En tant qu’ex-membre du Sénat Impérial, Mon Mothma paraissait davantage dans son élément maintenant qu’elle essayait de faire des composantes de la Nouvelle République un gouvernement fort et unifié.
Près d’elle siégeait la sœur de Luke, Leia Organa Solo, attentive à tous les détails des débats. Leia s’occupait de plus en plus de missions diplomatiques pour la République.
Autour de l’estrade étaient installés les membres du Haut Commandement de l’Alliance, des figures importantes de la Rébellion jouant un rôle dans le nouveau gouvernement : le général Jan Dodonna, qui avait mené la Bataille de Yavin contre la première Etoile Noire ; le général Carlist Rieekan, ancien commandant de la Base Echo sur Hoth, la planète glaciaire ; le général Crix Madine, un dissident impérial dont le rôle avait été crucial dans la destruction de la deuxième Etoile Noire ; l’amiral Ackbar, qui avait dirigé la flotte rebelle lors de la Bataille d’Endor ; et le sénateur Garm Bel Iblis, adversaire du Grand Amiral Thrawn.
Avoir été de grands stratèges n’impliquait pas nécessairement que ces chefs valeureux seraient de talentueux politiciens…
Mais puisque la stabilité de la Nouvelle République restait théorique, comme l’avait prouvé la récente guerre civile, maintenir des militaires aux postes clefs paraissait judicieux.
Son discours achevé, Mon Mothma leva les mains. On eût pu croire qu’elle allait donner une bénédiction.
– A présent, passons aux nouvelles affaires. Quelqu’un désire-t-il parler ?
L’entrée de Luke tombait à pic. Il avança dans la lumière, puis il rabattit son capuchon sur ses épaules. Il parla doucement, usant de ses pouvoirs de Jedi pour projeter sa voix de manière à ce que tout le monde entende.
– Je désire m’adresser à l’assemblée, Mon Mothma. Puis-je ?
Il descendit avec dignité l’escalier menant au centre de la salle, sans trop traîner, histoire de ne pas énerver les sénateurs. Yoda lui avait dit que les apparences étaient souvent trompeuses, mais parfois importantes.
Il sentit peser sur lui tous les regards. Le silence était général. Luke Skywalker, le dernier Maître Jedi, prenait rarement part aux discussions gouvernementales.
– J’ai une affaire primordiale à vous soumettre, dit-il.
Il se rappela le jour où il était entré seul dans le palais de Jabba le Hutt… Cette fois, il n’y avait pas de gardes gamoréens manipulables au moyen d’un simple recours à la Force.
Mon Mothma lui adressa un sourire mystérieux et lui fit signe de prendre place sur l’estrade.
– Un Chevalier Jedi est toujours le bienvenu dans la Nouvelle République, dit-elle.
Luke tenta de ne pas afficher un air satisfait ; c’était l’introduction parfaite à son propos !
– Dans l’Ancienne République, commença-t-il, les Chevaliers Jedi étaient les protecteurs et les gardiens. Pendant mille générations, ils utilisèrent les pouvoirs de la Force pour guider, défendre et soutenir le gouvernement des différents mondes – avant que viennent les jours sombres de l’Empire, et que les Jedi soient tués.
« A présent, nous avons une Nouvelle République. L’Empire semble vaincu. Notre nouvelle démocratie imite parfois l’ancien régime, mais nous espérons tirer parti de nos erreurs. Auparavant, l’ordre des Jedi veillait sur la République, mettant sa puissance à son service. Aujourd’hui, je suis le dernier Maître Jedi.
« Sans ces protecteurs pour forger l’armature de la Nouvelle République, pourrons-nous survivre aux tempêtes et aux difficultés ? Jusqu’à présent, nous avons souffert des luttes intestines ; dans mille ans, elles seront perçues comme de simples douleurs d’enfantement.
Avant que les sénateurs puissent exprimer leur désaccord, Luke continua :
– Notre peuple avait un ennemi commun : l’Empire. Nous ne devons pas laisser faiblir nos défenses en raison de dissensions internes. Plus précisément, qu’arrivera-t-il quand nous nous disputerons pour des broutilles ? Les anciens Jedi servaient de médiateurs dans la plupart des conflits. Hélas ! il n’y a plus de Chevaliers Jedi pour adoucir les temps troublés qui nous attendent.
Skywalker avança sous les cristaux. Il prit le temps de fixer un par un les sénateurs ; il s’arrêta en dernier sur le visage de Leia. Il n’avait pas discuté de son idée avec elle. Ses yeux étaient interrogateurs, mais il ne doutait pas de son soutien.
– Ma sœur suit l’entraînement des Jedi. Elle ne manque pas de talent. Ses trois enfants sont des candidats probables. Ces dernières années, j’ai rencontré une femme nommée Mara Jade, qui fédère actuellement les ex-contrebandiers dans une organisation capable de subvenir aux besoins de la Nouvelle République. Elle possède le don. Elle n’est pas la seule dans ce cas ; d’autres êtres rencontrés pendant mes voyages pourraient devenir des Jedi.
Une nouvelle pause.
Jusque-là, l’assemblée l’écoutait.
– Mais sont-ils les seuls ? Nous savons déjà que le pouvoir se transmet de génération en génération. La plupart des Jedi furent tués lors des purges de l’Empereur, mais a-t-il vraiment exterminé, tous les descendants de ces Chevaliers ? Moi-même, j’ignorais mon potentiel jusqu’à ce qu’Obi-Wan Kenobi m’apprenne à l’utiliser. Ma sœur Leia n’en savait rien non plus.
« Combien de créatures, dans la Galaxie, maîtrisent une puissance comparable à la Force ? Combien existe-t-il de Chevaliers Jedi potentiels qui ne savent rien de leur valeur ?
« Au terme de brèves recherches, j’ai découvert qu’il subsiste des descendants des anciens Jedi. Je suis venu demander deux choses.
« D’abord, que la Nouvelle République soutienne officiellement ma quête. Car, pour réussir, j’aurai besoin d’aide.
L’amiral Ackbar l’interrompit, clignant de ses énormes yeux de poisson :
– Mais si vous ignoriez votre pouvoir étant jeune, comment ces personnes l’identifieront-elles ? Et comment les trouverez-vous, Jedi Skywalker ?
Luke croisa les bras :
– De plusieurs manières. En premier lieu, deux droïds dévoués éplucheront les bases de données de la Cité Impériale. Nous sélectionnerons les candidats possibles : ceux qui ont fait montre d’une chance incroyable, dont les vies semblent constellées de coïncidences heureuses. Nous chercherons également les personnes dotées d’un certain charisme, ou celles à qui on attribue ce qu’on pourrait appeler des miracles. Tout cela peut découler d’une manipulation inconsciente de la Force.
« Ensuite, les droïds s’intéresseront aux descendants oubliés des Chevaliers Jedi de l’Ancienne République. Nous obtiendrons ainsi d’autres pistes.
– Et vous-même, que ferez-vous ? demanda Mon Mothma.
– J’aimerais commencer par tester plusieurs candidats. Et je vous demande d’accepter que je continue officiellement mes recherches.
Mon Mothma se redressa sur son siège :
– J’estime la proposition acceptable sans débat. (Les sénateurs hochèrent la tête.) Quelle est votre autre requête ?
– Si suffisamment de candidats ont un talent inné pour la Force, je souhaite obtenir la permission – avec la bénédiction de la Nouvelle République – de créer dans un lieu approprié un centre d’entraînement intensif… Une sorte d’Académie Jedi, si vous préférez. Sous ma direction, nous aiderons ces apprentis à cerner leurs capacités, à concentrer et à renforcer leur pouvoir. Enfin, l’Académie permettra de réunir un groupe de base qui nous aidera à restaurer l’ordre des Chevaliers Jedi afin qu’ils deviennent les protecteurs de la Nouvelle République.
Il prit une grande inspiration et attendit.
Le sénateur Bel Iblis se leva :
– Puis-je émettre un commentaire ? Je suis navré, Luke, mais je dois poser la question. Nous avons vu les dégâts qu’un Jedi peut faire s’il se laisse dominer par le Côté Obscur. Nous avons récemment combattu Joruus C’baoth, et Dark Vador a failli causer notre perte. Si un maître aussi grand qu’Obi-Wan Kenobi a échoué, abandonnant son disciple au Côté Obscur, comment prendre le risque de rétablir un ordre de Chevaliers Jedi ? Combien d’entre eux seront attirés par le Côté Obscur ? Et combien de nouveaux ennemis créerons-nous en notre propre sein ?
Skywalker fut obligé d’en convenir, la question le dérangeait depuis un certain temps : il y avait longuement réfléchi.
– Je peux seulement dire que ces terribles exemples doivent nous servir d’avertissement. Mon expérience du Côté Obscur m’a rendu plus fort et plus dégoûté que jamais de ses tentations. Le risque existe, mais je ne crois pas que la Nouvelle République puisse tenir longtemps sans un nouvel ordre de Chevaliers Jedi.
Un murmure parcourut l’assemblée.
Bel Iblis resta debout un long moment, comme pour ajouter autre chose, puis il se rassit, apparemment satisfait.
L’amiral Ackbar se leva à son tour et applaudit :
– La requête du Jedi va dans le sens de l’intérêt de la Nouvelle République.
Jan Dodonna se redressa. Après avoir survécu de justesse à la Bataille de Yavin, il avait toute confiance en Luke Skywalker.
– Je suis d’accord, renchérit-il.
Bientôt, tous les sénateurs furent debout. Luke vit un large sourire s’épanouir sur le visage de sa sœur.
Mon Mothma fut la dernière à réagir. Elle hocha gravement la tête, puis elle leva une main pour réclamer le silence :
– Tous mes espoirs vous accompagnent, Luke.
Nous vous donnerons l’aide nécessaire. Que la Force soit avec vous !
Avant que Luke ressorte, les applaudissements de l’assemblée explosèrent comme le tonnerre.